LÉO-PAUL TREMBLÉ
LÉO-PAUL TREMBLÉ
Membre de l'Ordre du Bleuet
Texte de Christiane Laforge
lu à la présentation de Léo-Paul Tremblé
au Gala de l'Ordre du Bleuet, le 6 juin 2015
Né le 16 juin 1924 dans une ville dont le nom montagnais, Kénogami, signifie « lac long », troisième des neuf enfants du couple Desneiges Bouchard et Théodule Tremblay, Léo-Paul apprend la vie à Alma, non loin du Piékouagami, «lac plat» ou lac Saint-Jean. La mort prématurée de sa mère meurtrit à jamais cet enfant sensible contraint de vivre dans un monde où ses aspirations se heurtent à l’implacable dureté de la réalité. À 12 ans, le cœur alourdi par le deuil de sa mère, ajouté à l’exil dans un orphelinat agricole en réponse à sa jeunesse turbulente, le jeune garçon transforme sa solitude en vaisseau d’or. Loin de sombrer, il explore le langage poétique et se laisse entraîner dans le sillage des lignes surgissant de ses mains habiles. Un talent prometteur pour les Beaux-Arts croit son tuteur de l’époque, méconnaissant la furieuse soif d’indépendance du jeune homme.
Il n’a ni le temps ni les moyens pour les Beaux-Arts. Subjugué par les œuvres des maîtres exposées dans les musées du Québec, Léo-Paul vibre d’une urgence impérieuse de brosser ses propres toiles. Il s’impose le dur labeur de copier les grands peintres. Il traque les secrets des formes et des couleurs en reproduisant les tableaux des Cézanne, Van Gogh, Vlamink et Matisse à partir des reproductions des livres, des calendriers et des cartes postales. Il a 18 ans. Sa liberté est au prix de mille et un métiers qui l’amènent jusque dans les camps de bûcherons où il prend conscience de l’étonnante variété des couleurs du ciel. Délaissant les reproductions dont il s’inspirait, l’artiste se risque à brosser les lieux de sa vie, coup d’envoi d’une carrière en devenir, modestement amorcée sous la forme d’un sous-bois.
Le figuratif domine les compositions de la première décennie. Dès qu’il s’éloigne des reproductions de ses maîtres, le travail est fait de prudence et de conventions. Cosgrove lui conseille de chanter plutôt que de peindre, convaincu que sa voix de baryton le mènera plus loin que la spatule. Il y croira pendant trois ans, mais plus encore à l’architecture qu’il étudie par correspondance et au lettrage commercial qui lui permettra de gagner sa vie d’homme marié depuis 1952 à Suzette Savard. Cependant, rien ne peut plus le détourner de la peinture.
Il prend confiance lorsque René Bergeron de la galerie l’Art Canadien de Chicoutimi lui achète une première toile. Quoique le propulseur demeure le salon du Comité des arts et métiers d’Arvida, en avril 1954, où il rafle les premier et troisième prix ainsi que trois mentions d’honneur. Trois ans plus tard, sa première exposition solo à Arvida fracasse les records de vente des quinze ans d’histoire du comité. Public et critiques sont unanimement conquis par la forte personnalité de ses tableaux. Un même succès l’attend au Palais Montcalm de Québec, en novembre 1959, alors que les journaux décrivent «La plus grosse vente effectuée lors d’une exposition de peinture à Québec.»
Cinq ans plus tard, il franchit le pas ultime en quittant la sécurité d’un travail régulier à l’usine Alcan d’Isle-Maligne pour se donner totalement à son art. Il écrit : «Avril 1964. Ce fut le plus beau jour de ma vie. Je me sentais libre comme un oiseau. Je savourais ma liberté. La liberté d’avoir choisi mon métier.» L’appui indéfectible de sa compagne, Suzette, sera son phare dans la noirceur qui succèdera à l’exaltation de se croire maître du temps. Ses toiles racontent à la fois toute la ferveur du peintre dévoué à sa passion et l’angoisse de l’homme terrifié devant le silence de la toile blanche. Il fréquente les galeries de Montréal, côtoie René Richard, Jean-Paul Lemieux, Albert Rousseau. Un jour, Riopelle l’incite à oser davantage. Il titille la fibre chercheuse de Tremblé qui n’a de cesse de se confronter à d’autres techniques. Ses compositions sont saisissantes. Un chaos de couleurs où l’on devine plutôt que de les voir des silhouettes de maisons et de barques. Tout est mouvement. Entre l’automatisme et l’impressionnisme, l’art figuratif de Tremblé est sans nul doute l’expression d’une émotion intense qui ne se dément pas lorsqu’il troque la spatule pour le pinceau et, plus tard, le pastel. Changement d’outil qui coïncide avec un changement de lieu, quittant Alma en 1977 pour s’installer à Arvida.
Il est père de quatre enfants, Hélène, Daniel, Suzan, Catherine. Son art est en plein essor. Une grande rétrospective de ses 25 ans de carrière inaugure la salle d’exposition du Collège d’Alma. Nommée Salle Tremblé en son honneur. Des galeries de Montréal, de Windsor, et d’Ottawa exposent ses œuvres qui se retrouvent dans les collections prestigieuses dont celles des compagnies Alcan, Abitibi-Price et des musées, Beaux-arts de Québec, art contemporain de Montréal et Musée régional du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Mais le succès du peintre n’est pas sans blessure : « Vivre de l'art, l'enfer de vivre depuis dix ans, finies les vacances, l'art avale tout, le temps, les larmes, le sommeil, les enfants. [...] Un peintre régional, l'atroce aventure », peut-on lire dans son recueil Sanguine, œuvre posthume publié en 1997.
Le peintre poète s’est éteint le 2 octobre 1995. Deux rétrospectives lui ont été consacrées, au Centre national d’exposition de Jonquière en 1997 et à la Pulperie de Chicoutimi en 2012.
Léo-Paul Tremblé incarne l’absolu. L’artiste autodidacte par excellence. L’homme qui se construit sans jamais renoncer à ce qu’il est. À sa façon, il est homme-phare dans un univers qui confond la maîtrise du maître pour s’incliner devant le diplôme universitaire. L’intensité de ses toiles révèle une telle avidité de vivre qu’on oublie cette angoisse incessante qui le taraudait, âme sensible égarée sur une planète qu’il a tant cherché à exprimer. Sa vision, son rêve, déborde largement des frontières régionales. Ses passions, ses préoccupations existentielles, ses questionnements esthétiques laissent des traces comme la pâte sur la toile... Pionnier pour les uns, héros pour les autres, Tremblé reste un modèle, un pilier de l'art régional.
Le 6 juin 2015
Léo-Paul Tremblé
Peintre et poète à la carrière exceptionnelle
Autodidacte et pilier de l’art régional
fut reçu membre de l’Ordre du Bleuet
à titre posthume
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lundi 22 juin 2015
LÉO-PAUL TREMBLÉ SUR VIDÉO AU GALA 2015 DE L'ORDRE DU BLEUET
LÉO-PAUL TREMBLÉ
POURQUOI L'ORDRE DU BLEUET
L'intensité et la qualité de la vie culturelle et artistique au Saguenay-Lac-Saint-Jean est reconnue bien au-delà de nos frontières. Nos artistes, par leur talent, sont devenus les ambassadeurs d'une terre féconde où cohabitent avec succès toutes les disciplines artistiques. Cet extraordinaire héritage nous le devons à de nombreuses personnes qui ont contribué à l'éclosion, à la formation et au rayonnement de nos artistes et créateurs. La Société de l'Ordre du Bleuet a été fondée pour leurs rendre hommage.La grandeur d'une société se mesure par la diversité et la qualité de ses institutions culturelles. Mais et surtout par sa volonté à reconnaître l'excellence du parcours de ceux et celles qui en sont issus.